@ Teohuacatli : "narrativisme" est devenu un "mot poubelle" on ne sait plus de quoi on parle ... Il ne faut pas confondre, Scénario en tant que trame narrative et Adversité en tant que ce qui peut s'opposer aux joueurs.
"Un homme heureux n'a pas d'histoire", cela veut dire que si on veut une histoire il faut des choses qui s'opposent aux volontés des joueurs et donc une adversité. La conséquence est que, si on veut une adversité de qualité alors il veut mieux la préparer (ce n'est pas obligatoire note bien mais ça aide).
Donc se posser la question de la preparation de partie et la question de sa transmission c'est super interessant. Merci, Flo.
Je vous mets ici la proposition de communication que j'avais fait et qui a été accépté :
Le scénario de jeu de rôle : changer de paradigme et replacer les personnages au cœur de l’action
Xavier de Canteloube
Le scénario de jeu de rôle hérite des formats traditionnels de narration qui le précèdent. En cinéma particulièrement, la production d’un film passe d’abord par l’élaboration d’un scénario. La nature séquentielle de l’œuvre produite par tous les supports classiques (roman, film, bande dessinée etc.) laissait à penser que toute œuvre de fiction procède d’un scénario. C’est ce qui a amené le jeu de rôle, pendant près de 30 ans, à transmettre les propositions de parties sous cette forme.
Il faut attendre les années 2000 et l’avènement du forum The Forge aux États-Unis pour remettre en cause la structure classique du jeu de rôle. Structure que l’on définit souvent ainsi : « Le Meneur de Jeu (MJ) a habituellement le contrôle complet de l’histoire, et les joueurs ont un contrôle complet des personnages qui sont les principaux protagonistes de l’histoire. » Par « contrôle complet de l’histoire », on veut dire en fait que le MJ est le garant du scénario de la partie. Sur le site The Forge, Ron Edwards est le premier à pointer le paradoxe inhérent à l’organisation classique du jeu de rôle. Il l’exprime ainsi : « Si des personnes ont le contrôle total des personnages principaux, comment quelqu’un d’autre peut-il contrôler l’histoire ? ».
Une des pistes de réflexion est alors de penser que l’on peut se passer du concours du MJ : cela a fait émerger toute une série de jeux dits « à autorité partagée ». Dans ces jeux, les attributions traditionnelles du MJ sont généralement morcelées et réparties entre différents joueurs, au lieu d’être concentrées entre les mains d’un seul. Il s’ensuit deux conséquences : d’une part, le partage d’autorité nuit à l’immersion des joueurs dans leur personnage. D’autre part, le partage de l’autorité sur l’adversité peut générer des histoires moins cohérentes. De ces expériences d’autorité partagée, on peut tirer la conclusion que les problèmes d’illusionnisme du jeu de rôle classique ne sont peut-être pas à attribuer au MJ mais à la structure du scénario en tant que suite d’actions ou de résultats imposés.
Il faut donc revoir la façon de préparer les parties de jeu de rôle. C’est sans doute parce que l’on considère l’histoire comme prépondérante que l’on envisage la préparation de parties sous la forme de scénarios. Si l’on aborde cette préparation en déplaçant l’attention sur les personnages plutôt que sur l’histoire, alors les choses se conçoivent différemment. Une des conséquences est que le MJ sera surpris par le déroulement de la partie : il devra alors jouer lui aussi pour « voir ce qui va arriver ».
Sur la base de ce paradigme, la préparation de partie se conçoit en tenant compte des contraintes liées au format de celle-ci (one shot, campagne), ce qui suppose des logiques de préparation différentes qu’il faut détailler. De plus, il est nécessaire de penser au recueil des attentes des joueurs quant à la partie et quant à leur personnage. Car c’est là le cœur de ce qui va fonder les dilemmes en jeu, et c’est sur cette base que l’on pourra préserver l’agentivité (player agency) des joueurs. C’est aussi par ce questionnement que l’élaboration d’une adversité de qualité pourra émerger en préparation. Enfin, c’est ce qui permettra de savoir si l’on souhaite placer les personnages dans des situations où ils devront être soit réactifs, soit proactifs.
À partir du moment où l’on ne se concentre plus sur l’histoire racontée mais sur les protagonistes de cette histoire, le terme de scénario ne se justifie plus, il est même trompeur. Pour autant, il faut continuer à qualifier la préparation de la partie.